L’écriture libérée de la littérature
par François Ricard
Études françaises, vol. 29, n° 2, 1993, p. 127-136.
Un article de la revue Études françaises
Volume 29, Numéro 2, automne 1993, p. 127–136
Lectures singulières
Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal , 1993
«Écrire dans le Québec d’aujourd’hui.» Le thème que nous proposait Thomas Pave! lors d’un petit colloque tenu à Princeton un samedi matin de novembre 1991 pouvait s’entendre de bien des manières. La plus simple, ou la plus commode, était d’y voir une nouvelle invitation à exposer notre «différence», comme on dit, en tentant de définir ce que la littérature québécoise actuelle aurait de spécifique parmi les autres littératures occidentales ou nord-américaines. Si j’avais suivi cette pente, j’aurais été contraint en fait de montrer comment la littérature québécoise, dont 1’«explosion» a si fortement attiré l’attention il y a vingt-cinq ou trente ans, continuait encore aujourd’hui de se singulariser, c’est-à-dire de ne pas ressembler à ce qui se fait ailleurs et d’offrir au monde (ou à sa propre société) quelque chose d’unique ou d’exemplaire.
Or cette problématique, me semblait-il, n’a plus beaucoup de pertinence a l’heure qu’il est. Il y a une bonne dizaine d’années, peut-être plus, que la littérature au Québec est entrée comme tout le reste dans un processus de «normalisation » dont la fin ne semble pas pour demain. Ce processus caractérise d’abord la production elle-même, dont les données thématiques, idéologiques et formelles sont aujourd’hui à la fois beaucoup trop diverses et beaucoup trop proches des modes et des courants internationaux de l’heure pour qu’il soit possible d’y déceler les marques d’une spécificité autre que purement accessoire ou décorative. Mais plus fondamentalement encore, la normalisation touche le statut et le fonctionnement mêmes de la littérature, qui a cessé, au Québec, d’occuper cette position privilégiée dont elle avait pu bénéficier aux beaux jours de la Révolution tranquille, pour rentrer doucement, comme cela se passe partout ailleurs, soit dans la «sphère restreinte» de l’université, soit dans le circuit de l’économie du divertissement et des industries dites culturelles. À telle enseigne que certains, parmi mes collègues critiques [1], considèrent qu’on ne devrait plus utiliser cette étiquette de «littérature québécoise autrement que dans un sens strictement géographique.
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